AFGC

Le pont de Térénez – 1925 – 1952 – 2011

Le pont de Térénez représente un maillon essentiel pour la liaison de la Presqu’île de Crozon avec le Nord-Finistère.

Entre 1782 et 1925, la traversée de l’Aulne s’effectue par bac. En 1909, se pose la question du choix de la traversée : bac à vapeur ou pont suspendu ? Face à l’accroissement des flux et pour ne pas gêner la circulation maritime, la construction du premier pont de Térénez est  entreprise en 1913.

La rivière Aulne étant plus étroite entre Argol et Rosnoën, le choix de ce site s’est tout naturellement imposé. Il est situé sur la route Le Faou – Crozon – Camaret-sur-Mer (actuelle RD 791).

Le premier pont 1925

La construction du premier pont s’effectue entre 1913 et 1925. Les rives sont suffisamment élevées pour faire un pont suspendu qui ne gêne pas la circulation sur l’Aulne. Bien que Ferdinand Arnodin ait proposé de construire un pont à la fois haubané et suspendu, c’est finalement le projet de l’ingénieur des Ponts et Chaussées Pigeaud qui est retenu sur la base d’un pont suspendu. L’entreprise Autajon entreprend la construction des pylônes en maçonnerie en 1913 à la veille de la première guerre mondiale. La guerre interrompt les travaux qui reprennent en 1920 et s’achèvent en 1923 pour ce qui est des piles en granite. L’entreprise Fives-Lille fournit et pose le tablier métallique et les câbles d’acier en 1925. Le platelage est en bois et le pont est mis en service le 13 décembre 1925. Il relie ainsi directement la Presqu’île de Crozon au Faou sans détour par Châteaulin, soit un gain de 26 kilomètres, et est alors le plus grand pont suspendu d’Europe.

Ses pricipales caractéristiques :

  • Piles et pylônes en maçonnerie : 68 mètres ; 
  • 38 mètres au-dessus de l’Aulne ;
  • 350 mètres de longueur ;
  • 272 mètres pour la portée principale ;

Miné en août 1944 par les Allemands, c’est dans la nuit du 24 au 25 août qu’ils font sauter l’ouvrage. L’ancien bac du passeur reprend donc du service, jusqu’à l’achèvement, en 1952, du second pont.

 

 

Le second pont 1952

Entre 1949 et 1952 on reconstruit l’ouvrage sur les piles du précédent. On reprend les mêmes mensurations : 350 mètres de longueur pour une portée principale de 272 mètres, viaducs d’accès ; en maçonnerie (RG) de 51 mètres, ainsi que ponts à poutres sous chaussée (RG et RD) de 36,70 mètres). Les pylônes en béton armé de 36 mètres de hauteur reposent sur l’ancienne maçonnerie des piles. Le projet est étudié par Jean Courbon sur la base des articles qu’il a publiés dans les Annales des Ponts et Chaussées dans les années 1940 sur la conception des ponts suspendus, et les travaux sont réalisés par la société Limousin pour la maçonnerie et le béton armé, et par la société Fives-Lille pour toute la partie métallique.

La conception du pont repose sur les perfectionnement apportés par Jean Courbon avec l’utilisation de pylônes flexibles en béton armé encastrés à leur base, et de poutres de rigidité à triangulation Warren double avec tablier intermédiaire. Les effets du vent sur le pont sont calculés avec la méthode Pigeaud. Chaque câble porteur est constitué de 19 câbles élémentaires de 132 fils de diamètre 4,7 mm.

La pénurie de matériaux de qualité à l’époque ne permet pas l’utilisation de ciment de bonne qualité.  À partir de 1963 on détecte la fissuration qui est suivie avec beaucoup d’attention les années suivantes. En 1980, une fissuration en forme de maillage est constatée sur le chevêtre rive gauche. Des mises en peinture, ragréages, calfatages et injections des fissures sont réalisées, notamment sur les pylônes où les fissures injectées se réouvrent. 

Le diagnostic d’alcali-réaction des pylônes est confirmée par le LCPC en 1988. Ils sont atteints d’une « maladie » incurable du béton. Une réaction chimique entre le ciment et les granulats du béton produit un gel dont l’expansion interne provoque une fissuration importante et inéluctable un gonflement du béton ; cette réaction est entretenue par l’eau qui pénètre à l’intérieur du béton, et ce d’autant plus facilement que la fissuration se développe. En 1994, des essais d’expansion résiduelle réalisés par le LCPC sur des carottes prélevées dans les pylônes montrent un fort potentiel de gonflement du béton.

En 1999, un cerclage en TFC (Tissu de Fibres de Carbone) des traverses est réalisé, pour “soulager l’ouvrage au moins pour quelques années”. En 2001, le sommier du pylône rive gauche fait l’objet d’un corsetage en béton projeté armé avec ajout de barres de précontrainte aux extrémités. En 2006, une nouvelle campagne de cerclage en TFC est effectuée sur les poteaux et tout principalement en rive gauche. L’ouvrage en surveillance renforcée depuis 1994 passe en haute surveillance (télésurveillance) à partir de 2001.

Le traitement du phénomène s’avérant pratiquement impossible et l’ouvrage continuant à se dégrader sous l’effet de l’alcali-réaction, le Conseil général du Finistère décide en 1995 de lancer des études pour la construction d’un nouveau pont à proximité de l’ancien. En 1998, la décision est prise de le réaliser.

Inutilisé depuis l’ouverture du 3ème ouvrage, le pont suspendu de Térénez, a été déconstruit en 2014 et 2015. Le site étant classé Natura 2000, le Conseil général du Finistère a décidé une déconstruction afin de récupérer et de recycler une partie des éléments qui le constituent : le béton, le ciment, le bitume, les traverses métalliques et les câbles. Le viaduc en maçonnerie côté rive gauche et la culée rive droite sont néanmoins conservées pour aménager deux belvédères d’accueil du public.

Le troisième pont 2011

Quatre ans de chantier ont été nécessaires (2004-2011). Il a été inauguré le 16 avril 2011.

Le tracé de ce nouvel ouvrage en plan a été voulu courbe afin de supprimer les virages existants à 90° de la route d’accès. Le rayon de courbure est variable, passant de 200 mètres dans les travées de rive à 800 mètres dans la travée centrale. Cette courbure a conduit, pour des raisons mécaniques et de gabarit routier, à ancrer les haubans sur deux pylônes inclinés en forme de « lambda » et situés à l’intérieur de la courbe. 

Le tablier en béton porte une chaussée à deux voies de circulation, complété par des passages pour piétons et cyclistes de part et d’autre. Il a une forme en assiette renversée, avec la chaussée en partie supérieure et les trottoirs en contrebas. Le respect du gabarit routier sous les haubans a conduit à élargir progressivement le tablier dans la travée de rive. 

La forme des pylônes en « lambda » est le résultat de nombreux calculs de stabilité qui ont conduit le concepteur Michel Virlogeux à remplacer la deuxième jambe que l’on trouve d’habitude dans les pylônes de ponts à haubans (tel le pont de Normandie) par une béquille plus courte située sous le tablier lui donnant ainsi cette forme élégante et optimisée au regard de la résistance. 

La hauteur totale des pylônes avoisine les 100 mètres dont 58 mètres au-dessus du tablier. Chaque pylône, d’un poids de 3 850 tonnes est construit en 20 levées successives.
Les haubans, au nombre de 36 paires par pylône sont ancrés dans une boite métallique insérée dans le béton de la tête du pylône, et dont le poids est de 115 tonnes.

Le déport latéral de la tête d’un pylône par rapport à l’axe du tablier du fait de la courbure du tablier a conduit à des calculs complexes qui ont nécessité de nombreuses itérations avant d’aboutir à la forme définitive. C’est cette particularité, associée à la longueur de la travée centrale, qui fait de ce pont un ouvrage remarquable qui n’a pas d’autre exemple de réalisation dans le monde.

Le tablier en béton précontraint, sur lequel passe la chaussée, mesure 515 mètres de long et est situé à 40 mètres au-dessus de l’Aulne. Il esr construit par encorbellements successifs. Les éléments du tablier, voussoirs, sont coulés sur place dans des équipages mobiles accrochés de part et d’autre du pylône et qui avancent de 7,50 mètres en 7,50  mètres.

Le bétonnage s’effectue par l’intermédiaire d’une grue, qui assure  l’approvisionnement par benne, les voussoirs étant reliés les uns aux autres par précontrainte afin de rigidifier le tablier. 

Chaque pylône voit ainsi ses demi-fléaux progresser pour se rejoindre au milieu du pont. L’opération de jonction des deux parties du tablier est le clavage.

Deux types de fondations ont été nécessaires :

  • Rive gauche, côté Crozon, la bonne qualité du sol a permis de construire des fondations superficielles : deux semelles de 5 mètres de haut et 11 mètres de côté supportent le pylône (une sous la jambe, l’autre sous la béquille). Elles sont reliées par un tirant précontraint (système de câbles qui empêche les deux semelles de s’écarter sous le poids du pylône).
  • Rive droite, côté Le Faou, la mauvaise qualité du sol (schiste partiellement décomposé) et le dénivelé de la rive ont rendu obligatoire la construction de fondations profondes à partir d’une estacade (ponton provisoire). Les semelles, de forme octogonale et d’une épaisseur de 3 mètres, reposent sur 10 pieux. Ceux-ci ont 36 mètres de profondeur côté béquille et 39 mètres côté jambe. Il a fallu forer très profondément pour atteindre un sol suffisamment stable pour supporter le poids considérable du pylône (3 850 tonnes environ).

En 2013, le troisième pont de Terenez s’est vu récompensé par le World Infrastructure Award, et en 2014 la Fédération internationale du béton (fib) lors de son congrès à Bombay, lui décerne  le prix du plus bel ouvrage d’art.